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«Le péché de la Russie»

Ludmila Oulitskaïa a préfacé l’ouvrage d’Edouard Limonov .

Moscou, de notre correspondante Recueilli par LORRAINE MILLOT


L’un des plus célèbres auteurs russes contemporains, Ludmila Oulitskaïa, 65 ans, auteure de Sonietchka (Gallimard), a préfacé Mes Prisons. Face à face inattendu sur lequel elle s’explique.

Pourquoi avez-vous écrit la préface de Mes Prisons ?
Edouard Limonov est un écrivain majeur. Je me souviens d’avoir remarqué ses premiers poèmes, quand j’étais jeune. De tous ses romans, C’est moi, Editchka est celui que je préfère. Il y a là de la tendresse, de la douleur, la souffrance d’un adolescent qui n’a rien d’un garçon bien. Qu’il ne soit pas particulièrement bien n’enlève rien à la souffrance. Et puis, il n’a pas honte d’être ce qu’il est, ce qui, en un sens, est une qualité. Cette fois encore, Limonov a écrit un livre sur un sujet très important. Il y a près d’un million de détenus en Russie. La législation est extrêmement dure chez nous, presqu’autant qu’au Moyen Age, lorsqu’on ne connaissait pas la hiérarchie des peines qui existe aujourd’hui dans les pays civilisés : on ne met pas en prison des adolescents qui volent parce qu’ils ont faim.

Peut-on rapprocher ce livre de classiques de la «littérature russe des prisons», l’Archipel du Goulag ou Souvenirs de la maison des morts par exemple ?
Je suis tout à fait consciente que ce livre n’est pas l’Archipel du Goulag, ni même Et le temps reprend ses tours de Vladimir Boukovski. Il y a chez Boukovski un épisode dans lequel il raconte comment, en prison, il passe trois jours à essayer d’allumer une cigarette à une ampoule qui se trouve à quatre mètres au-dessus de lui. Il se blesse, il tombe, il recommence à grimper au mur, et finit par apprendre à franchir ces quatre mètres infranchissables. Ces pages méritent de figurer dans l’anthologie de l’histoire et de la littérature russes. Limonov n’atteint pas de tels sommets, mais il parle de façon authentique, digne et sincère de ce qui a une valeur dans la vie et de ce qui n’est que du vent. C’est son expérience personnelle. Il y a bien une «littérature des prisons» en Russie. Il ne peut pas ne pas y en avoir. «Le Danemark est une prison», disait Shakespeare. Il n’avait pas vu la Russie ! Les prisons sont la honte, la douleur, le péché de la Russie. Chaque fois que l’on chante les louanges de la «mystérieuse âme russe», j’ai envie de montrer à ces patriotes les prisons et les maisons de retraite, les colonies de redressement pour enfants et même les orphelinats, pour qu’ils la ferment enfin. Cela me rend malade, et je sens que Limonov ressent la même chose. Nous avons cela en commun. Seulement, lui voudrait aussitôt faire une nouvelle révolution, ce que moi je ne veux en aucun cas. Mais là, on sort du cadre de la littérature. Il parle de la vie et des souffrances des gens. Et c’est bien la raison pour laquelle la littérature russe classique est si connue dans le monde : elle est toujours sortie du cadre des objectifs purement littéraires pour se mêler de religion, de morale, de politique.

Limonov est-il un auteur qui vous est particulièrement cher ?
Je ne le connais pas personnellement. Son activité politique m’a toujours paru suspecte, elle a des connotations fascistes et j’ai horreur de ça. Limonov a la psychologie et la mentalité d’un adolescent. Pour un artiste, c’est excellent, mais pour un homme politique, c’est dangereux.


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